La grande assymétrie
Je ne vous avais jamais encore parlé de ma profonde admiration pour Stephen Jay Gould, tant pour l’homme et le véritable humaniste qu’il était, que pour son œuvre immense, tant littéraire que scientifique[1].
En apprenant la nouvelle de sa mort, le 20 mai 2002, j’ai ressenti une grande tristesse, celle qu’on ressent lors de la perte d’un ami proche. La lecture de ses livres était pour moi comme une conversation amicale et chaleureuse, et me donnait l’impression d’une certaine intimité avec l’auteur. Je pense à la réflexion que Gould était capable de créer et de maîtriser avec brio ce sentiment d’intimité chez ses lecteurs, en maître pédagogue qu’il était, même sur les sujets les plus ardus.
Dans son dernier ouvrage, « Cette vision de la vie », publié en France plus d’un an après sa mort, Stephen Jay Gould revient sur ce qu’il appelait « la Grande Assymétrie ». Une loi tragiquement universelle qui veut que les systèmes complexes se font très lentement, graduellement, et sont défait brutalement, en un instant.
Ce qui est vrai en biologie et en écologie l’est aussi pour l’humanité et pour nos civilisations. Une civilisation éclairée, solidaire, fraternelle se construit en plusieurs siècles, au long d’un processus patient, douloureux et souvent chaotique. Tout ce que nous construisons est fragile. Dans nos sociétés technologiques, l’impact d’une action malveillante, voire d’une négligence, peut être infiniment destructeur.
La triste leçon de la grande assymétrie, c’est que chaque « mauvaise action » doit être compensée par des milliers, des dizaines de milliers de bonnes actions, de petits gestes de gentillesse et d’engagements quotidiens.
N’ayez donc jamais l’impression que votre action est insignifiante ou dérisoire. Elle est indispensable. Même vouée à rester anonyme, invisible, ses effets se conjuguent à ceux des milliers d’autres actions toutes aussi discrètes, et contribuent à bâtir l’humanité de demain.
Si vous doutez, et ça doit vous arriver, dites vous que c’est normal. Le doute appartient aux justes, il est même leur signe distinctif.
Emmanuel DELANNOY
2 septembre 2004
En anglais, un site non officiel mais remarquablement complet sur Stephen Jay Gould : http://www.stephenjaygould.org/
En français, lisez notamment « La vie est belle » ; « L’éventail du vivant » ; et bien sûr « Cette vision de la vie ».
[1] Biologiste, paléontologue, évolutionniste darwinien hétérodoxe, Stephen Jay Gould était aussi un formidable historien des sciences et de l’art, et un philosophe humaniste. Certains des concepts qu’il a popularisés, comme "l’exaptation", s’appliquent à merveille à l’évolution des organismes vivants, mais aussi à l’architecture, à l’urbanisme, voire aux systèmes de management (Voir la conclusion de ma thèse professionnelle à titre d’illustration).
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